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Earths, Louise Vanneste

Propos recueillis par Wilson Le Personnic.
Journal de l’ADC – août > décembre 2022

Cabanes d’atmosphère

À l’affût de sensations ou de flux auxquels l’humain a perdu accès, les interprètes de LOUISE VANNESTE deviennent dans Earths des plaques sensibles. Pour de nouveaux éveils, de nouvelles empathies à ce qui semblait imperceptible.

Depuis quelques temps, vous élaborez une écriture du corps en lien avec le fonctionnement du végétal, en studio et en pleine nature. Comment votre nouvelle création, Earths (à voir en décembre 22 au Pavillon) s’inscrit-elle dans cette recherche ?

LOUISE VANNESTE : Je suis habitée par la question d’un corps qui n’est pas en virtuosité mais qui porte néanmoins en lui une spectacularité. Je cherche à proposer des êtres humains sur le plateau avec des intentions moins démonstratives, qui pourraient même se fondre dans l’environnement global, jusqu’à devenir invisible parfois, n’ayant en tout cas plus vocation à avoir le premier rôle. Pour Earths, je me suis inspirée du végétal pour développer une danse qui se lie à un vivant qu’on ne connaît que de l’extérieur (observation, sensibilité, empathie, connaissances scientifiques). Cette recherche d’un·e humain·e végétal·e nous a guidé·es vers des procédures permettant au corps d’atteindre un état de détente, de concentration, d’écoute et de disponibilité. J’y poursuis également le développement d’une oralité chorégraphique, d’un corps empreint des traditions orales qui nécessitent de raconter une histoire à voix haute (sans lecture) impliquant la mémoire, le souvenir et la recréation de cette histoire. Il s’agit de se mettre à l’écoute d’un récit mental avec lequel le corps entre en dialogue et qu’il relaie avec toutes les transformations, traductions et oralités corporelles que cela entraîne.

Avez-vous développé des outils de composition et d’écriture spécifiquement pour cette recherche chorégraphique ?

Le végétal est tributaire de nombreux événements qui sont extérieurs à lui. Du fait qu’il ne se déplace pas, il a développé des stratégies de vie de protection incroyables, qui font d’ailleurs l’objet de beaucoup d’attention actuellement du côté des chercheur·euses. Nous avons utilisé ce conditionnement pour Earths : l’impossibilité de se déplacer et la dépendance ont permis cette recherche d’une danse moins volontariste. Durant le processus de création, nous avons fait appel à des notions qui nous permettent d’enraciner le corps (gravité), de calmer la volonté de faire et de bien faire, de développer un temps d’écoute qui va impulser le mouvement. On a valorisé des éléments du corps tels les fascias, les os, les liquides (davantage que les muscles). Ça a été un processus de décontraction mentale et physique où chacune des danseuses a pu expérimenter sa manière de lâcher prise, d’attendre, d’assouplir les muscles et de se calmer en profondeur : fermer les yeux, ne rien faire, trouver un degré zéro de soimême, ne pas être dans une surproduction de mouvement. On a parlé d’hypnose, expérimenté ce que pouvait éventuellement être rien, rentrer en soi, scanner nos corps pour en détendre chaque partie. Et puis de là, nous avons essayé une écoute, une mise en mouvement via un élément extérieur, imaginaire ou réel : le vent, une bête, la chaleur du soleil, le mouvement de l’autre qui fait réagir instantanément, sans réfléchir ni construire, la pluie qui se met à tomber, etc. Nous avons petit à petit trouvé ce parcours entre le végétal et l’humain, le mouvement intuitif en cohabitation avec un vocabulaire et/ou une qualité de mouvement précis, l’écoute de son imaginaire débridée et de la réalité de l’environnement qui nous entoure.

Comment se formalise cette écoute super sensible au plateau ?

Earths est un écosystème en partage. Les quatre danseuses (Amandine Laval, Léa Vinette, Castélie Yalambo et Paula Almiron) sont en hyper éveil, sur un fil qui n’est jamais stable, qui demande une concentration extrême de l’environnement. Leurs corps sont animés par quatre univers de fictions végétales, des récits qui sont nés d’une mémoire, de dessins, d’observations, de sensations, d’histoires qui se sont entremêlées pour faire naître une toile qui se déploie dans un ici et maintenant du plateau. Les récits s’écrivent instantanément sur les corps qui en sont les traducteurs et les révélateurs. C’est aussi une manière, il me semble, de donner place aux savoirs du corps, à ses capacités de réception, de traduction, de transformation. Earths cherche à se nourrir de notre capacité de narration préverbale (une narration inconsciente qui se déroule en permanence ou presque dans le cerveau, selon la romancière de SF Ursula K Le Guin, et qui n’a pas encore fait l’objet ni d’une mise en forme narrative, et encore moins d’une formulation par le langage) et pré-corporelle, qui est un déclencheur de mouvements, de qualités de mouvements, de récits chorégraphiques. Par ces mondes en mouvement, chaque danseuse devient une sorte de cabane d’atmosphère, à l’écoute des récits nés des empathies végétales et de l’environnement dans et par lequel les corps évoluent. Une cabane d’atmosphère comme un lieu intime dans lequel toute sensation, toute expérience est accueillie sans qu’elle doive à se justifier dans une logique narrative. Elle circonscrit un espace mental et physique d’éveil olfactif, vibratoire, visuel, émotionnel, climatique, abstrait…

Ces propos, recueillis par Wilson Le Personnic, sont extraits d’un entretien à lire dans son intégralité sur maculture.fr

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