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Earths, les magiciennes de la Terre

Jean-Marie Wynants, Le Mad du 10 novembre 2021

Créée à la récente Biennale de Charleroi Danse, la nouvelle chorégraphie de Louise Vanneste relie les corps à la terre. 

Àl’ouverture des portes, il y a d’abord un parfum, une odeur qui flotte dans l’air. À la fois familière et incongrue dans une salle de spectacle. Sans même apercevoir l’intérieur de celle-ci, caché par les spectateurs qui s’y glissent, nous voici déjà plongés dans un univers inattendu par la seule grâce de nos capacités olfactives.

Ensuite, il y a l’espace. Pas de scène mais des gradins disposés de part et d’autre d’un vaste rectangle entièrement recouvert de mousse. Une mousse verte, bien réelle, comme celle que l’on trouve dans les sous-bois, grimpant sur certains troncs d’arbre. Une mousse dégageant cette odeur si caractéristique qui nous a surpris quelques secondes plus tôt.

Disséminées sur ce tapis de verdure odorante, quatre jeunes femmes immobiles, comme indifférentes à ces spectateurs qui s’installent petit à petit. Lorsque le brouhaha du public s’éteint, on perçoit une sorte de vibration qui ne va cesser de s’amplifier jusqu’à prendre des allures de tremblement de terre.

Rien d’agressif pourtant dans cette création sonore de Cédric Cambrain, habituel complice de la chorégraphe Louise Vanneste. Il s’agit là plutôt d’une sorte de lent éveil de la vie qui ne tarde pas à s’étendre aux quatre remarquables danseuses, Paula Almiron, Amandine Laval, Léa Vinette et Castelie Yalombo.

Dans cet univers où la lumière inclut le public avant de l’effacer petit à petit (formidable travail d’Arnaud Gerniers, également responsable de la scénographie), les quatre jeunes femmes s’animent chacune de manière différente. L’une reste constamment au sol, une autre semble demeurer immobile tellement ses mouvements sont lents et contrôlés, les gestes d’une troisième ne se font que par saccades répétitives…

Toutes sont vêtues de blanc mais les costumes de Jennifer Defays n’ont rien en commun avec les habituelles robes diaphanes de simili-princesses. Si le blanc est de mise, les coupes sont plutôt sportives, discrètes, évitant tout effet de manche et tout faux romantisme.

Petit à petit, les corps s’enhardissent, tentent de nouvelles gestuelles sans encore se hasarder à explorer l’espace. D’abord surpris, le spectateur ne tarde pas à entrer pleinement dans cet univers qui semble surgir d’un monde où végétal et animal ne feraient qu’un.

Des bras ondulent, des pas s’esquissent, des corps se redressent, commencent à se déplacer, semblent trouver brièvement un rythme commun tout en restant uniques et singuliers.

Entre Douceur et brusques éclats

C’est l’éveil d’un monde auquel nous assistons: celui de la forêt où la végétation se déploie petit à petit, celui des océans où les algues et autres organismes marins ondulent au gré des marées, celui de la canopée où les vents caressent et agitent la cime des arbres…

De tout cela, on n’a pas nécessairement conscience durant le spectacle même, happés que nous sommes par cette vie qui éclot entre douceur et brusques éclats. Car Louise Vanneste ne joue en aucune façon sur le terrain de «l’expression corporelle» chère aux camps scouts du passé.

À aucun moment les quatre danseuses ne prétendent imiter une fleur, un arbre, une herbe. À aucun moment on ne tombe dans l’illustration gentillette de fancy-fair.

La force du spectacle tient à ce que la chorégraphe a réussi à susciter chez ses danseuses un mouvement qui vient du plus profond de chacune d’entre elles tout en étant inspiré par la nature.

Distribué à la sortie, un petit livret mêlant paroles et dessins témoigne d’ailleurs de la recherche de chacune. On y cherchera en vain une explication. Earths ne joue pas sur ce terrain-là. Rien de didactique, rien d’imposé, rien de définitif. Tout ici est dans l’intuitif, le ressenti, la vibration…

On assiste à la lente éclosion de quatre organismes comme on assiste à un miracle de la nature: médusé, bouche bée. Mais ces organismes-ci sont bien humains et lorsque cesse le déluge sonore devenu tellurique, un faux silence s’installe baignant encore dans l’écho de ce déferlement.

Apparaissent alors discrètement d’autres sons: bruits de marée, battement de cœur, bribes de chants, murmures des danseuses désormais debout, reprenant leur liberté pour disparaître dans le noir. En vie.

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